L’histoire de la police française : de l’Ancien Régime à nos jours

Publié le 29 août 2025

Table des matières

Introduction : Les fondements pré-modernes

Le mot « police » porte en lui toute l’ambiguïté de son histoire. Dérivé du grec politeia, qui désignait l’art de gouverner la cité, le terme a longtemps englobé l’ensemble de l’administration urbaine avant de se restreindre progressivement à sa dimension sécuritaire. Cette évolution sémantique reflète une transformation profonde des rapports entre l’État et la société.

Au Moyen Âge, la police n’existe pas comme institution autonome. Les fonctions de maintien de l’ordre se répartissent entre plusieurs acteurs : les conseils municipaux gèrent la police urbaine, la maréchaussée surveille les routes et les militaires, tandis que le guet bourgeois, souvent inefficace, assure tant bien que mal la sécurité nocturne. À Paris, le chevalier du guet apparaît en 1254 avec ses quarante sergents à pied et vingt hommes à cheval, préfigurant timidement l’organisation future.

L’année 1667 marque un tournant décisif avec la création par Colbert de la lieutenance de police de Paris. Pour la première fois, un officier du roi concentre des pouvoirs étendus sur la capitale, depuis le contrôle des métiers jusqu’aux fonctions judiciaires. Ce modèle parisien, progressivement étendu à Lyon et Marseille, incarne l’émergence d’une police d’État moderne, même si les provinces conservent longtemps leurs particularismes. Le XVIIIe siècle voit s’épanouir cette « police classique » tout en suscitant les premières critiques des penseurs libéraux, qui rêvent déjà d’un « État maigre » où l’économie remplacerait la police comme principe régulateur.

La naissance de la police moderne (1789-1850)

La Révolution française opère une clarification conceptuelle sans précédent. Elle distingue pour la première fois clairement les différentes fonctions policières : municipale, correctionnelle et de sûreté. La création éphémère d’un ministère de la Police en 1796 témoigne de cette volonté de rationalisation, même si les pratiques héritées de l’Ancien Régime perdurent largement. L’année 1800 voit naître la Préfecture de police de Paris, institution qui traversera tous les régimes jusqu’à nos jours et servira de modèle organisationnel durable.

La figure du policier moderne émerge véritablement entre 1828 et 1830 avec l’apparition des « sergents de ville ». Ces premiers agents en uniforme blanc, armés et visibles, marquent une rupture fondamentale avec l’univers trouble des mouchards et des indicateurs. La France devance même l’Angleterre, qui ne créera sa Metropolitan Police qu’en 1829, dans cette transformation du policier en fonctionnaire identifiable. Cette visibilité nouvelle traduit un changement de philosophie : la police ne se cache plus, elle s’affiche comme garante de l’ordre républicain.

L’âge d’or de l’innovation policière (1850-1914)

La période qui s’étend du Second Empire à la Grande Guerre constitue un véritable âge d’or pour la police française, qui devient un laboratoire d’innovations pour le monde entier. En 1883, la France crée la première école de police au monde à la caserne de la Cité, institutionnalisant la formation professionnelle des agents. Cette initiative témoigne d’une volonté de professionnalisation qui dépasse le simple apprentissage sur le terrain.

L’année 1902 marque une révolution avec les travaux d’Alphonse Bertillon sur l’identification criminelle par empreintes digitales. Cette innovation technique transforme radicalement les méthodes d’enquête et place la France à l’avant-garde de la police scientifique. Georges Clemenceau poursuit cette modernisation en créant en 1907 les fameuses Brigades du Tigre, brigades régionales de police mobile qui deviendront les ancêtres des services régionaux de police judiciaire. En 1910, Edmond Locard établit à Lyon le premier laboratoire de police scientifique au monde, confirmant le leadership français dans ce domaine.

Cette période voit également s’affirmer la spécialisation des services. La séparation entre police judiciaire et maintien de l’ordre public se précise, tandis que les services de renseignement se développent dans le contexte troublé de la Troisième République. La police politique, héritière des pratiques du Second Empire, s’institutionnalise progressivement, préfigurant les dérives futures.

Les grandes restructurations (1914-1966)

L’entre-deux-guerres poursuit le mouvement de spécialisation et de modernisation. La création de la Gendarmerie mobile en 1921 répond aux nouveaux besoins de maintien de l’ordre dans une société en mutation. Les polices spécialisées se multiplient, reflétant la complexification croissante des missions.

Le régime de Vichy constitue un moment paradoxal de l’histoire policière française. Le 14 août 1941, le maréchal Pétain signe l’acte créant officiellement la Police nationale par l’étatisation forcée des polices municipales. Cette réforme structurante, réalisée dans le contexte d’un régime collaborationniste, pose jusqu’à aujourd’hui la question embarrassante d’un héritage controversé mais fondateur. Les compromissions de certains services avec l’occupant côtoient les actes de résistance individuels et collectifs, illustrant la complexité morale de cette période.

La Libération entraîne une refondation républicaine de l’institution policière. Les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) sont créées entre 1944 et 1946, confirmées par une ordonnance du général de Gaulle. La loi du 9 juillet 1966 institue définitivement la Police nationale moderne, unifiant les différents services sous une même autorité. Cette même année marque le début de la féminisation avec l’ouverture du concours d’officier aux femmes, processus qui s’étendra progressivement jusqu’aux gardiens de la paix en 1978.

La police face aux mutations sociales (1966-2000)

Mai 1968 constitue un choc pour l’institution policière. Les affrontements violents entre forces de l’ordre et manifestants révèlent l’inadaptation du modèle purement répressif face aux nouvelles formes de contestation sociale. Cette crise entraîne une réflexion profonde sur les méthodes policières et favorise l’émergence progressive du concept de police de proximité, même si sa mise en œuvre restera longtemps limitée.

La professionnalisation s’accélère durant cette période. L’ouverture complète de tous les corps aux femmes entre 1972 et 1978 modernise l’image de la police. La création du RAID en 1985 répond à la montée du terrorisme et des prises d’otages, inaugurant l’ère des unités d’élite ultra-spécialisées. La police scientifique et technique connaît un développement spectaculaire, bénéficiant des avancées technologiques en matière d’analyse ADN et d’informatique.

Les années 1970-1990 voient également se creuser progressivement la distance entre police et population dans certains territoires. Les banlieues deviennent des zones de tension croissante où le modèle policier traditionnel peine à s’adapter aux réalités sociales nouvelles. Les émeutes urbaines récurrentes révèlent les limites d’une approche essentiellement sécuritaire des problèmes sociaux.

Les défis du XXIe siècle (2000-2024)

Le tableau actuel de la police française révèle une crise profonde du modèle traditionnel. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les homicides, après avoir atteint leur plus bas niveau en 2014 avec 660 cas, n’ont cessé d’augmenter pour culminer à 1010 en 2023, malgré une légère baisse en 2024 liée à la fin provisoire de la guerre des gangs marseillais. Cette hausse de 53% en moins d’une décennie contraste brutalement avec l’évolution italienne, où les homicides ont été divisés par deux sur la même période, passant de 475 en 2015 à 319 en 2024.

La situation opérationnelle apparaît critique. Environ quatre millions de procédures judiciaires sont en attente de traitement, asphyxiant commissariats et brigades de gendarmerie. Les classements sans suite massifs, avec l’accord tacite du parquet, témoignent de l’incapacité du système à traiter la petite et moyenne délinquance. Le gouvernement opère une sélection des priorités qui privilégie les violences conjugales au détriment des cambriolages, créant un sentiment d’abandon chez de nombreux citoyens. Le moral des forces de l’ordre s’effondre, entraînant une augmentation inquiétante des démissions.

Face à cette crise, les adaptations institutionnelles semblent insuffisantes. La création du Service de la Protection en 2013 et la départementalisation de 2024, qui retire son autonomie à la Police judiciaire, apparaissent comme des « rustines improvisées » selon les observateurs critiques. La renaissance des polices municipales, qui gagnent progressivement en effectifs et en équipements, témoigne paradoxalement de la raréfaction des forces nationales sur la voie publique. Cette évolution pose la question d’un retour partiel au modèle décentralisé d’avant 1941.

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Eliott R.

Eliott R.

Spécialisé en préparation aux concours (police, armée, SNCF, TOEIC...), Eliott accompagne les candidats pour qu'ils abordent leurs épreuves dans les meilleures conditions.

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